19 octobre 2021 Pierre Perrin-Monlouis
La Commission européenne a décidé d’entamer des procédures d’infraction à l’encontre de l’Irlande concernant neuf cas de manquement au droit de l’environnement de l’Union européenne. Plusieurs de ces affaires concernent une insuffisance des moyens mis en œuvre pour assurer la protection de la grande biodiversité de l’Irlande. Mais l’Irlande a également omis de réagir convenablement pour lutter contre des cas de traitement illégal de déchets nuisibles pour l’environnement, et d’appliquer convenablement d’autres dispositions législatives de l’UE visant à permettre aux Européens de vivre dans un environnement sain. Dans deux affaires, l’Irlande a déjà été condamnée par la Cour de justice européenne. La Commission donne actuellement suite à ces arrêts, l’Irlande n’ayant pas encore modifié sa législation et ses pratiques. Ces deux affaires concernent les menaces que le surpâturage d’ovins fait peser sur un site naturel et sur une espèce d’oiseaux protégée, ainsi que la prévention de la pollution des eaux conchylicoles. Par les actions qu’elle a décidé d’entamer, la Commission cherche à garantir que l’Irlande applique correctement les dispositions législatives adoptées par l’ensemble de l’Union européenne. Faute de cela, la population ne pourra pas bénéficier du niveau de protection de l’environnement auquel elle a droit.
S’exprimant sur ces décisions, Margot Wallström, membre de la Commission chargée de l’environnement, a déclaré : « Un des objectifs importants du droit européen de l’environnement est de protéger la biodiversité de l’Europe. L’Irlande à une nature d’une étonnante beauté. Il importe de préserver cette richesse tant pour les générations à venir que pour les touristes qui visitent l’Irlande. Cela pourra se faire si la législation de l’Union européenne en matière de protection de l’environnement est appliquée intégralement. L’Irlande doit également continuer de lutter contre les opérations illicites de traitement de déchets et assurer la réparation des dommages causés pour donner à ses citoyens la qualité de vie à laquelle ils peuvent prétendre.»
Infractions concernant la protection de la nature et de la faune et la flore sauvages
Trois affaires concernent le non-respect par l’Irlande des directives européennes sur les habitats[1] et les oiseaux sauvages[2]. Ces directives visent à protéger une série d’oiseaux, d’animaux et de plantes rares et menacées, ainsi qu’une série de types d’habitats en les intégrant dans le réseau de zones protégées connu sous le nom de Natura 2000. La directive impose, entre autres choses, l’évaluation des plans et projets potentiellement nuisibles qui pourraient toucher des sites Natura 2000 avant leur mise en œuvre.
Surpâturage ovin : le 13 juin 2002, l’Irlande a été condamnée par la Cour de justice européenne pour avoir permis une détérioration grave de plusieurs habitats d’oiseaux sauvages résultant du surpâturage d’ovins[3]. La Cour reconnaît l’existence de deux problèmes : le surpâturage par des ovins a entraîné une perte importante de bruyères, en particulier sur les pâturages communs, qui sont des terrains appartenant à plusieurs propriétaires. Cela constitue une menace pour le lagopède des saules, qui est une des espèces d’oiseaux en déclin en Irlande. Le lagopède des Saules utilise les bruyères pour se nourrir, pour bâtir son nid et pour se cacher des prédateurs. Conformément à la directive communautaire sur la protection des oiseaux, le lagopède des saules doit avoir des habitats suffisants. Le surpâturage a également provoqué d’importantes pertes de végétation et une érosion importante dans la plus grande zone de protection spéciale de l’Irlande, à savoir l’Owenduff-Nephin Beg Complex, zone de 25 000 hectares dans le comté de Mayo. La zone comprend des tourbières, des montagnes, des cours d’eau, des sources et des lacs. L’Owenduff-Nephin Beg Complex fait partie du réseau Natura 2000. Depuis l’arrêt de la Cour de 2002, l’Irlande a pris des mesures pour réduire le nombre d’ovins et la Commission a collaboré avec les autorités irlandaises pour les aider à résoudre le problème. Cependant, les plans n’ont pas encore été entièrement mis en œuvre. En outre, les obligations légales d’empêcher les dommages causés aux habitats n’ont pas encore été introduites pour l’ensemble de l’Owenduff-Nephin Beg Complex. Il manque également des détails sur la façon dont le contrôle va s’exercer en matière de réparation des dommages causés aux habitats. En conséquence, la Commission adresse un premier avertissement écrit à l’Irlande lui enjoignant de se conformer entièrement à l’arrêt de la Cour.
Protection inappropriée d’animaux et de plantes rares La Commission a décidé la saisine de la Cour à l’encontre de l’Irlande parce que la législation et les pratiques irlandaises ne protègent pas suffisamment une série d’espèces animales et végétales menacées qui doivent bénéficier d’une stricte protection en vertu de la directive sur les habitats. Il s’agit, par exemple, du petit rhinolophe (Rhinolophus hipposideros), du crapaud calamite (Bufo calamita) et de cétacés (mammifères marins tels que dauphins et baleines). La législation irlandaise accorde d’importantes exemptions pour les dommages et les perturbations résultant de certaines activités, notamment agricoles. Les garanties de la directive ne sont pas appliquées d’une manière judicieuse et il n’existe pas de système de surveillance approprié pour les cétacés. L’Irlande a déclaré son intention d’élaborer de nouvelles mesures législatives, mais celles-ci n’ont pas encore été notifiées la Commission. La Commission a donc décidé de saisir la Cour de justice à l’encontre de l’Irlande.
Activités de loisirs nuisibles sur des sites Natura 2000: la Commission a décidé de saisir la Cour à l’encontre de l’Irlande pour un autre problème de non-conformité de la législation irlandaise avec la directive sur les habitats. La saisine est fondée sur l’instruction d’une plainte selon laquelle l’utilisation de véhicules à moteur tout-terrain de type « quad-bike » est une cause d’érosion sur les sites irlandais proposés pour le réseau Natura 2000. Un grand nombre de ces sites ont des sols tourbeux fragiles. La Commission a estimé que la législation irlandaise ne permettait pas de contrôler convenablement les activités de loisirs susceptibles de provoquer des dommages sur des sites Natura 2000, comme le jet ski. Les mesures législatives complémentaires nécessaires n’ayant pas encore été notifiées à la Commission, celle-ci a décidé de saisir la Cour de justice.
Protection insuffisante des eaux conchylicoles
L’Irlande a omis de se conformer à l’arrêt de la Cour du 11 septembre 2003[4], qui l’obligeait d’établir des programmes de réduction de la pollution dans les 14 zones de la côte irlandaise désignées comme eaux conchylicoles en application de la directive sur les eaux conchylicoles[5]. Conformément à cette directive, les États membres doivent désigner les eaux dans lesquelles les coquillages doivent être protégés, et doivent s’efforcer d’atteindre des normes de qualité imposées en appliquant des programmes de réduction de la pollution.
Il s’agit en particulier de lutter contre des sources de pollution, telles que les eaux usées urbaines non épurées, qui peuvent provoquer une contamination microbienne des eaux conchylicoles. Depuis que la Cour a prononcé son arrêt, l’Irlande a donné des informations sur la manière dont elle entendait se conformer au jugement, mais les mesures décrites ne vont pas assez loin. En conséquence, la Commission adressera un premier avertissement écrit à l’Irlande lui demandant de se conformer entièrement à l’arrêt de la Cour.
Une deuxième procédure est également liée à cette directive. La première concernait l’absence de programmes de réduction de la pollution pour les quatorze eaux conchylicoles existantes en Irlande, mais d’après la directive sur les eaux conchylicoles, l’Irlande aurait dû en désigner un nombre beaucoup plus élevé pour protéger sa culture de mollusques et crustacés. Des preuves présentées par les plaignants indiquent que les zones de conchyliculture sont nombreuses sur le long littoral de l’Irlande, et que les coquillages ont souffert d’une dégradation de la qualité de l’eau. La Commission a déjà averti l’Irlande à deux reprises et cette dernière a dit qu’elle désignerait un nombre plus élevé d’eaux conchylicoles, mais elle ne l’a pas encore fait. C’est pourquoi la Commission a décidé de citer l’Irlande devant la Cour de Justice.
Activités illicites de traitement des déchets
Depuis quelques années, la Commission s’inquiète de l’ampleur des activités non autorisées concernant des déchets en Irlande. Elles sont en infraction avec la directive-cadre de l’UE sur les déchets[6], qui fixe les règles de base pour le traitement des déchets. Avant tout, les États membres doivent veiller à ce que l’élimination et la récupération des déchets ne présentent pas de risque pour l’eau, l’air, le sol, les plantes et les animaux.
À cette fin, ils doivent avoir des plans de gestion des déchets et contrôler les activités relatives aux déchets en délivrant des permis et en effectuant régulièrement des inspections.
Une enquête menée entre 1997 et 2001 concernant des plaintes relatives à des activités non autorisées liées à des déchets, en Irlande, a conduit ce pays devant la Cour de justice européenne et la procédure est toujours en cours.
Depuis lors, l’Irlande a pris un certain nombre de mesures destinées à réprimer ces activités, en créant notamment un bureau national chargé de faire respecter la législation environnementale. Les plaintes examinées depuis 2001 montrent cependant que de graves problèmes persistent. En particulier, les décharges illégales de déchets n’ont pas été assainies dans tous les cas, et les déchets en question n’ont pas été couverts par une autorisation de traitement des déchets respectant l’environnement. L’Irlande n’a pas non plus apporté la preuve qu’elle a infligé des sanctions effectives aux exploitants de décharges illicites.
La Commission a envoyé à l’Irlande un dernier avertissement écrit dans cinq affaires :
D’énormes quantités de déchets déversés n’ont pas été retirées des zones humides à Granny Ferry (comté de Kilkenny).
La Commission n’a reçu aucune confirmation que les décharges illicites de Tinnapark (comté de Wicklow), Murphy’s Rock (Blackpool) ainsi que Cork et Ardistan (comté de Carlow) ont été nettoyées. L’élimination illicite de déchets à Murphy’s Rock en 1999 est particulièrement préoccupante, car l’UE a cofinancé cette année-là la construction du contournement de Blackpool, à l’origine des déchets en cause. Le projet était placé sous la responsabilité d’un organisme public, la société Cork, qui est également une autorité responsable de la gestion des déchets.
L’Irlande n’a pas confirmé que les problèmes écologiques liés à l’ancienne installation de traitement des déchets des autorités locales de Dunsink (comté de Fingal) ont été entièrement résolus. Ces problèmes comprenaient la pollution de l’eau au niveau local.
La Commission espère que les autorités irlandaises vont maintenant apporter une solution à ces problèmes et qu’aucune autre action en justice ne sera nécessaire.
Échange de droits d’émission, substances appauvrissant la couche d’ozone et traitement des eaux résiduaires
Comme plusieurs autres États membres, l’Irlande a reçu des avertissements de la Commission qui attirent l’attention sur les manquements suivants :
adoption et notification avant le 31 décembre 2003 de la transposition de la directive établissant le système communautaire d’échange des droits d’émission[7] (dernier avertissement écrit) ;
présentation des rapports sur l’utilisation du bromure de méthyle comme pesticide sur les cultures commerciales. Le bromure de méthyle détruit la couche d’ozone qui protège la terre, et doit être progressivement éliminé en vertu du règlement de l’UE sur l’ozone[8] (premier avertissement écrit) ;
respect de l’échéance de décembre 2000 pour l’installation d’un traitement approprié des rejets d’eaux urbaines résiduaires dans les villes de plus de 15.000 habitants, en vertu de la directive sur le traitement des eaux urbaines résiduaires (premier avertissement écrit).
Ces trois affaires font l’objet de communiqués de presse distincts (IP/04/861, IP/04/878 et IP/04/870).
Procédure juridique
L’article 226 du traité habilite la Commission à entamer une procédure contre un État membre qui manque à ses obligations.
Si la Commission considère qu’une infraction au droit communautaire justifie l’ouverture d’une procédure d’infraction, elle adresse à l’État membre concerné une «lettre de mise en demeure» (premier avertissement écrit), l’invitant à présenter ses observations dans un délai déterminé, généralement deux mois.
En l’absence de réponse ou si la réponse fournie par l’État membre n’est pas satisfaisante, la Commission peut décider d’adresser à ce dernier un «avis motivé» (deuxième et dernier avertissement écrit). Elle y expose clairement et intégralement les raisons pour lesquelles elle estime qu’il y a eu infraction à la législation communautaire et appelle l’État membre à remédier à la situation dans un délai déterminé, généralement deux mois.
Si l’État membre ne se conforme pas à l’avis motivé, la Commission peut décider de porter l’affaire devant la Cour de justice. Lorsque la Cour de Justice estime qu’il y a violation du traité, l’État membre incriminé est engagé à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à l’avis motivé.
L’article 228 du traité habilite la Commission à poursuivre un État membre qui ne s’est pas conformé à un arrêt de la Cour européenne de justice en lui adressant à nouveau un premier avertissement écrit («lettre de mise en demeure»), puis un deuxième et dernier avertissement écrit («avis motivé»). En vertu de ce même article, la Commission peut également demander à la Cour d’infliger des sanctions financières à l’État membre concerné.
Pour des statistiques relatives aux procédures d’infraction en général, voir à l’adresse:
http://europa.eu.int/comm/secretariat_general/sgb/droit_com/index_fr.htm
Pour les arrêts de la Cour de justice, voir à l’adresse:
http://curia.eu.int/en/content/juris/index.htm