Pierre Perrin-Monlouis Dernière mise à jour: 20 octobre 2021
Et si le voyage était aussi une belle opportunité pour développer son potentiel créatif ? Ce mois-ci, notre rubrique « Voyage dans les tendances » s’intéresse au Tourisme créatif. Un concept qui connaît de plus en plus d’adeptes…
S’émerveiller dans ses voyages est une excellente chose, mais apprendre à reproduire soi-même ce qui nous émerveille sur nos lieux de vacances en est une autre. Par exemple, plutôt que de rapporter la réplique d’un vase antique de Crète en guise de souvenir, pourquoi ne pas s’inscrire à un atelier de poterie ?! Ou au Brésil, s’initier à l’art de la samba avant de rejoindre les danseurs… Une excellente manière de s’intégrer dans le paysage local, de revenir avec des souvenirs authentiques et de se découvrir plein de talents.
La création du tourisme créatif
Bien qu’ayant toujours plus ou moins existé, le concept de « tourisme créatif », tel qu’il existe aujourd’hui de manière concrète et organisée, est né en l’an 2000. Dans un livre publié en 2009, intitulé Creative Tourism, a Global Conversation, Crispin Raymond, raconte l’origine du concept dont il est l’un des deux co-fondateurs. En 2000, en Angleterre, lui et sa femme lisent au petit-déjeuner les mails que leur fille leur envoie depuis l’Asie du Sud et l’Australie, que celle-ci traverse avant de se rendre en Nouvelle-Zélande. Son père est surpris de la façon dont sa fille occupe ses vacances. À Chiang Mai, grande ville du nord de la Thaïlande, elle suit un cours d’introduction au massage thaï pendant une semaine ; à Bali, en Indonésie, elle prend un jour pour apprendre à cuisiner végétarien ; en Australie, elle s’initie au métier de « jillaroo » [jackaroo pour les hommes], une sorte d’équivalent local pour « cowboy » ! Bref, sa fille ne perdait pas une minute pour apprendre. Mais quel nom donner à cette forme du tourisme hyperactif ?
Plusieurs semaines après, le 24 janvier 2000, Crispin Raymond rencontre Greg Richards, spécialiste du tourisme culturel, qui donne une conférence au Portugal. Selon lui, il est alors nécessaire pour satisfaire les touristes de proposer un tourisme culturel plus « interactif », et plus « créatif », au-delà des simples visites de musées et autres sites historiques. Pour Crispin Raymond, c’est une évidence : le « tourisme créatif », voilà une expression qui correspond à ce que sa fille avait expérimenté ! Après la conférence, il part à la rencontre de Greg Richards, et ensemble, ils commencent à travailler sur ce nouveau concept, très prometteur.
En novembre de la même année, ils donnent une définition au concept : « un tourisme qui offre aux visiteurs l’opportunité de développer leur potentiel créatif grâce à une participation active à des cours et expériences d’apprentissage qui sont caractéristiques du lieu dans lequel ils séjournent ».
Aujourd’hui, il existe un réseau international dédié au tourisme créatif. Créé en 2010 par la fondation barcelonaise FUSIC, le Creative Tourism Network a pour objectif de promouvoir la tendance et de mettre en valeur les villes et régions qui ont le potentiel pour accueillir les visiteurs à la recherche de nouvelles expériences artistiques et humaines. Les destinations membres du réseau sont très variées, depuis des capitales nationales ou régionales comme Paris, Barcelone ou Porto Alegre au Brésil, jusqu’au village de Biot au cœur de la Côte d’Azur en France ; depuis la Galice, région espagnole, jusqu’à des pays entiers comme le Guatemala ou la Thaïlande, etc.
En octobre 2013, dans le cadre de la 7e Conférence internationale sur le tourisme responsable, Creative Tourism Network a reçu le Prix de la meilleure initiative de tourisme responsable. Chapeau !
Des activités en veux-tu en voilà
Il existe une grande variété d’activités à réaliser dans le cadre du tourisme créatif. La plupart sont propres à chaque destination comme le veut la définition de ses co-fondateurs. C’est le cas par exemple du stage d’initiation à la fabrication du verre dans le village français de Biot. Pendant 5 jours, durant 1 h 30, les touristes en apprennent les différentes phases avec un maître-verrier local et finissent par réaliser leur propre objet.
Au Guatemala, la « Route Textile Maya » propose, sur 9 jours, de ponctuer les multiples visites culturelles de villes et de musées par des ateliers, pour apprendre notamment à élaborer des étoles à partir de différents tissus teints avec les traditionnelles couleurs vives du pays du Printemps éternel. En Thaïlande, sur les traces de la fille du Professeur Crispin, il est possible de prendre des cours de boxe, de peintures sur ombrelle ou encore d’origami.
À Porto Alegre, capitale de l’État du Rio Grande do Sul, tout au sud du Brésil, les touristes amateurs de musique pourront s’initier, au-delà de la samba, aux sons régionaux : la milonga, le chamamé, la chacarera, etc. Pour avoir le rythme dans la peau comme un vrai gaucho ! De plus, ils repartiront avec un CD leur permettant de revivre à nouveau les séances, et sans doute aussi de susciter l’envie de leurs proches une fois rentrés chez eux.
Un peu partout, y compris dans des villes qui ne sont pas membres du Creative Tourism Network, les activités se multiplient, de l’atelier d’une heure au stage sur plusieurs jours. Désormais, certaines destinations proposent des activités plus universelles, comme des cours de peinture ou de photographie sans lien particulier avec la tradition artistique locale. Cela reste toutefois une occasion de rencontres avec les locaux, autour d’une activité qui passionne les uns et les autres.
Le cercle vertueux du tourisme créatif
D’après Greg Richards, les touristes sont de plus en plus désireux de participer à ce genre d’expériences qui répondent à leur envie de s’exprimer et de se connecter aux autres. Selon lui, les vacances ne sont plus seulement dédiées au repos, mais également à l’apprentissage et au développement personnel.
D’ailleurs, le tourisme créatif n’est pas sans rappeler une autre tendance : celle du DIY ou « Do It Yourself ». Le DIY consiste à faire soi-même différents objets ou services, plutôt que de les acheter : des bijoux par exemple, ou plus simplement du bricolage. La crise économique a sans doute contribué à faire de cet esprit de « débrouillardise » – qui a toujours existé – un phénomène de mode. De nombreux blogs spécialisés ont vu le jour, et il faut croire que le DIY a éveillé chez beaucoup de personnes le goût pour le savoir-faire et la créativité.
Mais le tourisme créatif ne profite pas qu’aux touristes. Il sert aussi les intérêts des populations locales. Le cas de la destination Louvre-Lens (membre du réseau Creative Tourism Network), dans le nord de la France, en fournit un bon exemple. Lorsqu’en 2012, l’annexe du célèbre Musée du Louvre a été installée dans cette région peu touristique, les habitants ont effectué un véritable travail de mémoire pour valoriser un patrimoine qu’ils ne reconnaissaient pas comme tel jusqu’alors.
De la même manière, le tourisme créatif permet aussi d’attirer des visiteurs tout au long de l’année. Une aubaine pour une destination telle qu’Ibiza, d’ordinaire envahie par les fêtards l’été et vide le reste du temps. Ce nouveau tourisme permet aussi de changer l’image de l’île espagnole, qui a tendance à être associée uniquement à ses boîtes de nuit, et non à ses beautés naturelles. Aujourd’hui, il est possible d’y venir fabriquer ses propres espadrilles, de séjourner dans une résidence d’artistes isolée avec des artistes locaux, ou, pour rester dans le thème… apprendre à mixer sa propre proposition musicale !
Cet été, certains choisiront peut-être leur destination en fonction de leur passion, pour l’enrichir par la pratique que d’autres, ailleurs dans le monde, en ont : la danse, le chant, la cuisine, la peinture, le street art, la mode… Mais certains, pris au jeu, rejoindront peut-être le Maker Movement. Entre la mouvance « Do It Yourself » et la culture digitale, la culture Maker veut contrôler les technologies pour en faire un outil d’artisanat collaboratif. Ainsi, de nombreux Fab Labs ont ouvert partout dans le monde : ces ateliers permettent à tous d’accéder à de grosses machines, comme des imprimantes 3D par exemple, pour que chacun puisse créer des objets personnalisés et partager ses inventions.
Depuis la première édition en 2006 à San Francisco, des Maker Fairs ont lieu régulièrement pour réunir les amoureux de la création ! Un calendrier à surveiller pour qui veut rejoindre le mouvement.