Délit d’initié : une amende jusqu’à 10 fois le profit réalisé !

21 octobre 2021 Pierre Perrin-Monlouis

Avoir le bon tuyau. Que ce soit au tiercé, au casino ou à la bourse, avoir le bon tuyau semble être la quête du Graal pour bon nombre d’investisseurs. Obtenir une information privilégiée avant tout le monde. Savoir ce que les autres ne savent pas dans le but de battre le marché. Tout cela est bien tentant mais totalement illégal en droit financier. Transmettre, ou utiliser une information privilégiée fait même parti des infractions les plus graves du Code Monétaire et Financier.

Le délit d’initié, défini par l’article 465-1 du Code Monétaire et Financier (précisé plus bas) est le fait d’utiliser à titre personnel, directement ou indirectement une information privilégiée dans le but de générer des profits. Ce délit est sanctionné fortement. L’amende peut aller jusqu’à 10 fois les profits réalisés ou 1.500.000 euros et de deux ans d’emprisonnement. Le risque est très lourd par rapport au gain parfois faible d’une telle opération. En effet, connaître à l’avance une opération financière importante ne préjuge en rien de l’évolution des marchés dans les jours à venir. Le délit d’initié le moins risqué financièrement est sans doute le délit d’initié où vous connaissez à l’avance le lancement d’une OPA, et le cours de cette dernière, sur telle ou telle valeur. Il vous suffit alors d’acquérir la société cible à un cours inférieur au cours d’OPA. Mais un délit d’initié du type “telle société va annoncer un changement de dirigeant” ou encore “telle société va annoncer un nouveau marché” ou “telle société vient d’obtenir un nouveau contrat” n’est pas forcément un délit d’initié rentable. En effet, la signature d’un nouveau contrat peut être mal perçu par le marché en fonction des conditions de ce contrat. Un contrat peu rentable qui transmet une part de la technologie de l’entreprise peut même se traduire par une défiance des marchés vis à vis de cette annonce, et donc le titre chutera.

Un nouveau délit a été créé suite à l’affaire Péchiney Triangle. Désormais un tiers qui transmet une information qu’il sait privilégiée à une autre personne qui l’utilisera, peut se voir poursuivi pour recel de délit d’initié. La transmission de l’information devient ainsi aussi sanctionnable que son utilisation. Les peines sont toutefois moins lourdes avec seulement 1 an d’emprisonnement au maximum contre 2 ans pour les délits d’initiés. La justice devra toutefois prouver que le tiers savait que l’information qu’il détenait et qu’il a retransmise n’était pas publique. Prenons le cas d’une secrétaire qui a entendu une discussion entre un directeur financier et le dirigeant. Cette discussion concerne une future augmentation de capital. Si elle décide de communiquer sur cette information, lors d’un dîner avec des amis, et que l’un de ses amis spécule en ayant connaissance de cette information, alors elle peut être poursuivie pour recel de délit d’initié. Toutefois, il sera nécessaire de prouver qu’elle savait que c’était un délit d’initié.

Les modalités d’enquêtes sur les délits d’initiés sont forts différentes en fonction du type d’initiés ou d’insiders. Il existe deux types d’initiés :

l’initié primaire
Les initiés primaires sont naturellement les dirigeants de l’entreprise. Ils connaissent logiquement les opérations à venir, les fusions possibles et les éventuelles discussions en cours. De par leur rôle, en cas de poursuite pour délit d’initié, c’est à eux de prouver qu’ils ne connaissaient pas l’information privilégiée. On considère qu’ils connaissent toutes les informations privilégiées liées à leur entreprise. Il est en effet difficile de croire qu’un dirigeant n’est pas au courant d’une augmentation de capital, de la signature d’un nouveau contrat ou même du lancement d’une OPA sur un concurrent. Tout naturellement la charge de la preuve est renversée et il devra prouver sa méconnaissance de l’information;

l’initié secondaire
Les initiés secondaires sont toutes les autres personnes qui peuvent obtenir une information privilégiée de quelque nature que ce soit : un journaliste financier suite à une enquête, un fonctionnaire qui accorde des permis de construire, un cadre supérieur qui a entendu des bruits de couloirs, la femme du cadre supérieur, le secrétaire du dirigeant, le bureau de consultants qui prépare le dossier de fusion, etc… Le nombre d’initiés potentiels est si énorme que quasiment tout à chacun, au cours de sa vie, peut connaître un délit d’initié, sans même en savoir la nature dans la plupart des cas. En cas de poursuite, la justice se doit de prouver qu’ils étaient en possession de cette information, contrairement à l’initié primaire. La Justice doit aussi prouver que sa connaissance du délit d’initié s’est traduite, directement ou indirectement, par un gain financier. Connaître un délit d’initié ne vous enverra pas en prison si vous ne le divulguez pas, et que vous n’en profitez pas financièrement parlant.

Définition juridique

Le délit d’initié ainsi que le recel de délit d’initié sont définis par l’article L. 465-1 du Code Monétaire et Financier. Ces deux infractions ont été prévues par l’ordonnance n°67-833 du 28 septembre 1967, article 10-1. Ces articles, parfois indigestes, sont pourtant essentiels pour savoir si oui ou non, une opération peut être jugée répréhensible par la loi.

Article L. 465-1
Est puni de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de (Ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000) “1 500 000 euros” dont le montant peut être porté au-delà de ce chiffre, jusqu’au décuple du montant du profit éventuellement réalisé, sans que l’amende puisse être inférieure à ce même profit, le fait, pour les dirigeants d’une société mentionnée à l’article (Rectificatif, Journal officiel du 17 mars 2001) “L. 225-109” du code de commerce, et pour les personnes disposant, à l’occasion de l’exercice de leur profession ou de leurs fonctions, d’informations privilégiées sur les perspectives ou la situation d’un émetteur dont les titres sont négociés sur un marché réglementé ou sur les perspectives d’évolution d’un instrument financier admis sur un marché réglementé, de réaliser ou de permettre de réaliser, soit directement, soit par personne interposée, une ou plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de ces informations.

Est puni (Loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001) “d’un an d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende” le fait, pour toute personne disposant dans l’exercice de sa profession ou de ses fonctions d’une information privilégiée sur les perspectives ou la situation d’un émetteur dont les titres sont négociés sur un marché réglementé ou sur les perspectives d’évolution d’un instrument financier admis sur un marché réglementé, de la communiquer à un tiers en dehors du cadre normal de sa profession ou de ses fonctions.

(Loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001) “Est puni d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 150 000 euros dont le montant peut être porté au-delà de ce chiffre, jusqu’au décuple du montant du profit réalisé, sans que l’amende puisse être inférieure à ce même profit, le fait pour toute personne autre que celles visées aux deux alinéas précédents, possédant en connaissance de cause des informations privilégiées sur la situation ou les perspectives d’un émetteur dont les titres sont négociés sur un marché réglementé ou sur les perspectives d’évolution d’un instrument financier admis sur un marché réglementé, de réaliser ou de permettre de réaliser, directement ou indirectement, une opération ou de communiquer à un tiers ces informations, avant que le public en ait connaissance. Lorsque les informations en cause concernent la commission d’un crime ou d’un délit, les peines encourues sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 1 500 000 euros si le montant des profits réalisés est inférieur à ce chiffre.”

Historique

Le délit d’initié est une notion juridique relativement récente dans l’histoire boursière de la France. Il n’était pas rare au XIXème siècle d’obtenir des “tuyaux” et de les utiliser sans subir les foudres de tel ou tel organisme. En 1967 et la mise en place de la loi sur les entreprises, le législateur a obligé les dirigeants d’entreprises à inscrire au nominatif leurs propres actions de leur société. Ainsi il est devenu possible à tout moment de suivre l’évolution de ces actions (achats et ventes). Les ventes de titres de dirigeants juste avant l’annonce de résultats déficitaires pouvaient désormais être suivies et sanctionnées plus aisément. Il était possible par le passé pour un dirigeant de vendre les actions de la société qu’il dirigeait s’il savait qu’il allait annoncer de mauvais chiffres quelques jours plus tard.

Les années 80 ont vu une des plus importantes affaires de délit d’initié de l’histoire boursière française : l’affaire Péchiney / Triangle (rachat d’une société américaine). Ce délit d’initié a touché les plus hautes sphères d’influence politique en France et a montré à quels points les sommes en jeu pouvaient être considérables et que les dirigeants n’étaient pas les seuls bénéficiaires de ce genre d’informations privilégiées. Suite à cette affaire, les sanctions se sont considérablement accrues. La mondialisation de l’économie, la financiarisation et l’envolée de la taille des multinationales conduisent naturellement à augmenter l’impact d’un délit d’initié. Alors qu’avant, un délit d’initié pouvait rapporter quelques millions, aujourd’hui un délit d’initié savamment orchestré peut se traduire par quelques milliards de profits.

La COB (devenue AMF) a souhaité renforcer son dispositif anti délit d’initié en s’associant à l’un des gendarmes de la Bourse les plus puissants du monde : la SEC. Cet accord intervenu en 1989 est une nouvelle pierre à l’édifice de sanctions contre le délit d’initié. La SEC est très intéressée par ce problème qui concerne des sommes bien plus importantes aux Etats-Unis de par la taille des marchés boursiers et de la capitalisation boursière des entreprises.

Le recel de délit d’initié voit le jour le 26 octobre 1995. Désormais communiquer une information, sans l’utiliser, à un tiers en connaissant le caractère privilégié de cette information entraîne des sanctions pénales et civiles (1 an d’emprisonnement et 150.000 euros d’amende). Ainsi un commissaire aux comptes qui délivre ce genre d’informations à un ami peut être poursuivi pour recel de délits d’initiés.

Les scandales récents aux Etats-Unis (Enron) n’ont pas diminué la volonté du législateur et de l’AMF à punir sévèrement les auteurs de tels faits. Les enquêtes sur des délits d’initiés, avérés ou non, restent très fréquentes même si elles ne sont pas forcément médiatisées. Au même titre que les contrôles fiscaux, beaucoup d’enquêtes se font sans même sortir des murs de l’AMF. Ainsi, l’AMF a tout pouvoir pour étudier les transactions boursières sur une valeur sur une période donnée, et ainsi détecter, automatiquement, des anomalies. Une envolée des volumes quelques heures avant la publication d’une annonce inattendue peut être détectée par l’AMF et être jugée comme conforme à l’activité du titre, sans même que cette enquête ne soit médiatisée.

Quelques exemples

Les affaires de délits d’initiés ne manquent pas mais l’un des délits les plus médiatisés fut sans nul doute l’affaire Péchiney / Triangle où de hauts personnages politiques furent entachés.

A la fin des années 80, l’affaire Société Générale a bousculé l’establishment français. Le rachat avorté de la Générale a permis à de nombreux investisseurs de gagner plusieurs millions d’euros. Parmi les personnalités les plus connues et les plus médiatiques, on peut citer Samir Traboulsi, Jean-Charles Naouri ou George Soros.

Le rachat de Promodès par Carrefour a aussi provoqué son lot d’enquêtes. Les sommes en jeu restaient relativement faibles mais elles touchaient une population très diverse : dirigeants, journaliste, écrivain, gérant de FCP, etc.

Eurotunnel a fait souvent l’objet d’enquêtes ou de rumeurs d’enquêtes en cours. L’évolution du titre et son caractère très spéculatif en ont fait une cible de choix pour ceux qui recherchaient des informations privilégiées ou plus sournoisement souhaitant manipuler le cours.

Dans le film Wall Street, Gordon Gekko n’hésitait pas à demander à Bud Fox de lui trouver des informations privilégiées pour gagner davantage. Gordon Gekko et Bud Fox ont fini en prison. C’est la fin que bons nombres d’initiés connaîtront dans les années à venir s’ils poursuivent leurs activités malgré le durcissement des sanctions.

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Trader & Analyste Financier
Fondateur de Rente et Patrimoine et à la tête du service Bourse Trading, il vous fait profiter de son expérience en trading grâce à ses analyses financières et décrypte pour vous les actualités des marchés. Son approche globale des marchés combine à la fois l'analyse technique et fondamentale.