21 octobre 2021 Pierre Perrin-Monlouis
La monnaie est apparue au fil des siècles comme l’élément le plus à même de faciliter les échanges à travers le monde. Ces avantages surpassent de très loin une économie basée sur le troc. Mais les monnaies sont aujourd’hui devenues si essentielles qu’elles sont utilisées comme une arme économique et politique majeure. Autrefois cantonnés dans des barrières étroites, les Etats utilisaient leur monnaie nationale afin de booster leur économie à travers des dévaluations plus ou moins régulières. Mais l’avènement et le développement du régime des changes flottants ainsi que l’échec de la plupart des politiques de dévaluations ont conduit bons nombres d’Etats a abandonné cette arme économique plus que perverse. La dévaluation est une arme simple, parfois efficace mais très souvent court-termiste.
La dévaluation consiste pour un Etat à baisser volontairement la valeur de sa monnaie nationale au profit d’une monnaie de référence ou d’un panier de monnaies. Par exemple, le 20 septembre 1949, le Franc français perd 22,27% de sa valeur par rapport au Dollar sous l’impulsion d’Henri Queuille, alors président du conseil. La France a choisi la dévaluation comme une arme économique, et l’utilise fréquemment. 17ème dévaluations se sont ainsi succédé au XXème siècle, et principalement pendant l’après seconde guerre mondiale. La France est alors en proie à de profondes difficultés financières, et la dévaluation permet de redonner rapidement un ballon d’oxygène aux entreprises exportatrices.
La dévaluation est donc une décision de l’Etat dans un régime de change fixe. En effet, il n’est pas possible de dévaluer une monnaie dans un régime de change flottant. La monnaie évolue alors au rythme de l’offre et de la demande, et l’Etat n’a qu’un impact à la marge en agissant sur les taux d’intérêts ou la masse monétaire en circulaire. Dans un régime de change fixe, la parité entre deux monnaies est fixée par les différents gouvernements. Une décision politique peut ainsi faire chuter (dévaluation) ou au contraire accroître (réévaluation) une devise par rapport à une autre.
La dépréciation résulte, elle, de la loi de l’offre et de la demande. La monnaie locale se déprécie car les perspectives du pays ne sont pas jugés satisfaisantes et les investisseurs s’en éloignent. De même qu’une action peut voir son titre chuter, une monnaie peut voir sa valeur chuter si les capitaux se dirigeant vers d’autres monnaies plus stables, plus dynamiques, moins risquées. La loi de l’offre et la demande impacte ainsi directement non plus la capitalisation boursière d’une entreprise, mais toute l’économie d’un pays. Toutefois, un Etat a aussi plusieurs instruments à sa disposition afin de favoriser la dépréciation (ou l’appréciation) de sa monnaie. Cette arme est moins radicale que la dévaluation mais plus efficace sur le long terme.
D’un point de vue pratique, il est assez aisé pour un gouvernement de dévaluer sa monnaie. Il suffit de modifier la parité de conversion, et ainsi alors que le lundi la conversion se fera sur les bases de 1 monnaie locale pour 2 monnaies étrangères, la conversion se fera le mardi sur la base de 1 monnaie locale pour 1,5 monnaie étrangère. La dépréciation elle demande plus de temps, et un bon dosage des différents outils à disposition des gouvernements pour contrôler la dépréciation. La dépréciation peut aussi être totalement indépendante du pouvoir politique, et ce dernier devra alors ramer à contre courant de la loi de l’offre et de la demande pour contrecarrer le marché.
Mais pourquoi dévaluer sa monnaie ?
Pour assurer la conversion d’une monnaie par rapport à une autre, les Etats doivent détenir des réserves dites de change très élevées. Or si la demande sur la monnaie étrangère est bien supérieure à celle de la demande sur la monnaie locale, les réserves en monnaie étrangère chutent rapidement, et l’Etat se voit contraint de stopper la conversion de la devise. La Banque Centrale n’a plus les moyens d’assurer la conversion de la monnaie nationale en monnaie étrangère. En pratique, les dévaluations se placent dans un cadre préventif. La monnaie est dévaluée avant que la conversion ne soit devenue impossible.
Mais pourquoi la demande en monnaie étrangère est plus forte ?
Les investisseurs ont le même comportement vis-à-vis des Etats qu’ils ont avec les actions. Si une action est solide, ils iront acheter la valeur. Si l’action annonce de mauvaises nouvelles, ils vendront le titre et privilégieront son concurrent. C’est la même chose dans le domaine de la monnaie. Si un pays fait des déficits jugés excessives, s’il ne maitrise pas ses balances, si son taux de chômage est trop élevé, les investisseurs peuvent alors avoir intérêt à jouer une monnaie par rapport à une autre. L’objectif est ici de voir les autorités de l’Etat le plus faible annoncer une dévaluation, afin de rééquilibrer les parités pour qu’elles soient conformes à la réalité économique du budget.
La sortie de la Livre Sterling du Système Monétaire Européen en 1992 orchestrée par George Soros, redoutable financier, est un exemple flagrant de l’attaque d’une monnaie jugée trop forte par rapport à sa valeur réelle. Les années 80 ont aussi vu de nombreuses dévaluations du franc français par rapport au mark allemand.
Quels sont les impacts d’une dévaluation / dépréciation ?
Les impacts d’une dévaluation ou d’une dépréciation portent principalement sur la balance commerciale du pays. La baisse de pouvoir d’achat de 5, 10 ou 20% en produits étrangers se traduit directement dans le porte-monnaie des consommateurs. En effet, en dévaluant sa monnaie, l’Etat voit les prix des prix importés s’envoler naturellement en monnaie locale. Dans le même temps, le prix des exportations chutent. En début de cycle, à cause de l’Effet Prix, le volume des importations et des exportations restent stables. L’élasticité prix sur la balance commerciale est faible. Il faudra plusieurs semaines ou mois pour que la balance commerciale profite du deuxième effet, l’Effet Quantité. Les importations diminuent à cause de la hausse des prix. Les consommateurs se tournent vers des produits locaux. Quand aux exportations, elles se développent grâce à une baisse des tarifs pratiqués à l’étranger. Ces deux effets s’observent à travers une courbe en J dessinant le solde de la balance commerciale.
La balance commerciale s’affiche donc en meilleure forme. Il en est de même pour les réserves de changes qui se reforment. L’économie du pays profite donc de ce regain d’activités. Mais attention. La dévaluation et la dépréciation ont montré leurs limites dans l’histoire économique. Une dévaluation seule n’a pas véritablement d’intérêt tant que les conditions économiques qui ont conduit à cette dévaluation n’ont pas été modifiées. Ainsi une dévaluation recréera temporairement un équilibre entre deux Etats, mais ne modifiera pas structurellement le pays le plus faible. Ce dernier devra opérer des changements structurels majeurs afin d’éviter toute dévaluation dans l’avenir. Certains états ne pouvant satisfaire à ces exigences se retrouvent alors dans la spirale vicieuse de la dévaluation continue. Chaque année, une dévaluation compense l’écart de performances avec le pays voisin, et ce au détriment de la population locale qui est dans l’incapacité d’acheter des produits étrangers.
Les dévaluations et dépréciations sont particulièrement mal vécues par les personnes ayant emprunté en devises étrangères. Cela reste minoritaire, mais ces ménages peuvent voir leurs échéances très fortement augmenter à cause d’une dépréciation non prévue.
Un Etat peut-il décider de dévaluer / déprécier alors que rien ne l’y oblige ?
Un Etat peut décider de son propre chef de “laisser filer” sa monnaie et ce fut notamment le cas des Etats-Unis à plusieurs reprises. L’Etat se permet alors toute latitude pour financer ses dépenses en laissant courir ses déficits budgétaires et commerciaux. La monnaie se déprécie. A long terme, cette politique est une impasse économique, sauf dans le cas du dollar. Si toutefois, le dollar perd sa symbolique de monnaie de la première économie mondiale, les Etats-Unis seront contraints à revoir certaines décisions politiques dans l’avenir.
Dans le cadre d’un système de change fixe, la dévaluation d’une monnaie est toutefois très mal vécue par les populations, et la non-dévaluation peut devenir alors une arme politique. Le gouvernement qui ne sera pas réélu sera celui qui aura dévalué avant les élections.
La dévaluation est donc l’équivalent d’une ingestion de sucres rapides pour un sportif. L’effet est quasi immédiat, mais sans entraînement, le sportif n’ira pas bien loin. Une dévaluation se doit donc d’être couplée à des changements structurels majeurs.