Pierre Perrin-Monlouis Dernière mise à jour: 21 octobre 2021
Alors qu’il est parfois difficile pour un simple particulier d’appliquer les recettes et méthodes des plus grands traders, en voila une qui ne vous demandera pas une once d’intelligence. En effet, plutôt que de passer des heures à sélectionner vos titres et donc à faire du stock picking, pourquoi ne vous contenteriez donc pas de choisir vos actions totalement au hasard ? Certes ce raisonnement est simpliste et quasi contraire à l’ensemble des sites de conseils boursiers, mais est-il si stupide que cela ?
En réalité, investir comme un chimpanzé est loin d’être ce que l’on pourrait qualifier comme une insulte. Ainsi, en 1973, Burton Malkiel énonça une théorie qui fait encore aujourd’hui parler d’elle. Selon ce professeur de l’Université de Princeton, né en 1932 “Un singe aux yeux bandés lançant des fléchettes sur les pages financières d’un journal pourrait constituer un portefeuille d’actions tout aussi performant que celui choisi par un expert“. Ces propos prêtent à sourire mais ils détiennent en eux, l’une des plus grandes théories liées aux marchés financiers, à savoir l’efficience des marchés. En écrivant cela dans son livre, “A random walk down Wall Street“, Burton Malkiel souhaite démontrer qu’un choix aléatoire de titres apporterait la même performance qu’une sélection pointue réalisée par un spécialiste. Il se base en cela sur l’efficience des marchés. A tout moment, le cours d’un titre reflète sa valeur réelle car toute l’information est disponible sur le marché. Il n’existe donc pas de moyens de battre le marché, à moins de détenir des informations privilégiées, ce qui reste interdit. Quelle que soit la valeur que vous achetez, le cours qu’elle a correspond à la valeur qu’elle doit avoir, ni plus, ni moins.
Toutefois, il n’est pas allé plus loin dans l’expérience et n’a pas confié les rênes de son patrimoine à un chimpanzé. Le 15 avril 2013, sous la forme de deux articles, la Cass Business School de l’Université de Londres, a publié une expérience qui a fait sursauter plus d’un gestionnaire de portefeuilles. De 1968 à 2011, ils ont comparé la performance d’un indice pondéré par la capitalisation boursière, comme peut l’être celui du S&5 500 ou du CAC 40 à la performance d’un … singe choisissant ses valeurs totalement au hasard. Ce test portant sur 1.000 actions, 43 années, et 10 millions de singes virtuels, s’est traduit par une rentabilité supérieure de ces indices créés au hasard par rapport aux indices établis par les comités scientifiques. Autrement dit, il était plus intéressant de suivre le choix des singes que celui des hommes. Toutefois, la réalisation d’un indice ne se fait pas dans une optique de performance mais de représentativité.
Cette étude scientifique pourrait prêter à sourire s’il ne s’agissait pas que d’une expérience parmi d’autres. En effet, depuis les propos de Burton Malkiel -et même avant-, plusieurs journaux ont décidé d’expérimenter les capacités du singe à sélectionner les bons titres.
Forbes fut le précurseur de ces expérimentations avec le Monkey Business qui vu même le jour avant les écrits de Burton Malkiel. Ce portefeuille fut établi dès 1967, et ce pendant 17 ans. En 1988, le Wall Street Journal expérimenta aussi le lancer de fléchettes. Il publia chaque mois des valeurs choisies par 4 experts, et par l’équivalent de 4 singes. Pour des raisons évidentes de sécurité, le WSJ a choisi 4 de ses employés, leur faisant tirer des fléchettes au hasard. Au bout de 100 sélections, un bilan est fait. Les spécialistes des marchés obtiennent une performance supérieure aux “singes“. 61 victoires contre 39 défaites. La supériorité de la sélection humaine est-elle pour autant prouvée ? Malheureusement non. Les avis des experts figuraient aussi dans le journal, et le caractère moutonnier a naturellement entraîné une hausse des cours des titres choisis par les spécialistes. Corrigés de cet effet, les portefeuilles réalisent des performances similaires à celles des singes. Un véritable camouflet.
En 1993, un journal suédois, Expressen, décide d’expérimenter à son tour. 5 investisseurs chevronnés sont choisis et un chimpanzé femelle, Ola. Chacun se voit confier 10.000 couronnes, avec pour objectif de gagner le plus d’argent du 3 août au 3 septembre. Le singe lance des fléchettes sur les titres de la Bourse de Stockholm. Ola affichera des performances supérieures aux professionnels.
En 1999, l’indice MonkeyDex est créé. Les valeurs sont choisies parmi une sélection de valeurs Internet. Le singe nommé Raven bat une grande part des gestionnaires de portefeuilles de l’époque, mais en 2000, l’expérience est annulée à cause de trop lourdes pertes alors que l’indice reste relativement stable.
En janvier 2009, c’est au tour d’une femelle macaque à face rouge, Luscha, de battre les marchés. Elle ne choisit que 8 actions parmi 30 titres russes, mais verra son portefeuille tripler après seulement une année.
The Observer, l’hebdomadaire du dimanche de The Gardian, va plus loin et sélectionner des professionnels des marchés, des étudiants en Finance, et … un chat nommé Orlando. Le chat désigne alors l’efficience des marchés, et la marche au hasard ou random walk, de ces derniers.
En tout temps, en tout lieu, les professionnels des marchés financiers n’ont pu prouver leurs compétences par rapport à de simples singes. Certes, il ne s’agit nullement de comparer l’intelligence humaine à l’intelligence simiesque, mais de mettre en avant le caractère essentiel de l’efficience des marchés. A une époque où certains annoncent battre sur le long terme les marchés, ces expériences plus ou moins farfelues démontrent le contraire. Certes, il existera toujours des traders plus ou moins doués mais statistiquement, il est plus opportun pour un particulier de se tourner vers le hasard dans la sélection de ses titres que vers une analyse extrêmement détaillée. L’efficience des marchés a encore de beaux jours devant elle.
Je ne vous conseillerais pas d’emprunter le chimpanzé d’un zoo pour vos expériences. Toutefois, pourquoi ne pas sélectionner une dizaine de valeurs parmi les plus liquides en début d’année, et d’observer leurs performances en fin d’année. Alors ? Etes-vous plus doué qu’un chimpanzé ?