Pierre Perrin-Monlouis Dernière mise à jour: 21 octobre 2021
Gordon Gekko est à Wall Street ce que le Père Noël est pour les enfants. Non pas que le Père Noël soit un personnage cupide, violent et méchant, mais plutôt que tous les deux, sont des êtres imaginaires qui malgré les années qui passent restent un symbole très fort. Gordon Gekko est un personnage de fiction. Il apparaît pour la première fois dans le film mythique Wall Street, sorti en 1987, et réalisé par Oliver Stone. A l’époque, le réalisateur souhaite critiquer les dérives d’un capitalisme sans contrôle, qui frôle constamment avec la légalité. Ce film de 1987 tentait d’alerter le grand public sur le risque d’une telle place de la finance dans nos économies, et finalement, 20 ans plus tard, nous avons connu l’une des plus importantes crises financières.
L’histoire du film est relativement simple. Un gourou de la Finance, Gordon Gekko, prend sous son aile un jeune trader, Bud Fox, et lui enseigne son art de la guerre du trading. On y découvre que tous les coups sont permis et que le délit d’initié fait figure de règle. Cette vision est plus que caricaturale mais elle représente encore aujourd’hui une vision partagée par une bonne part de la société civile. Gordon Gekko, dont les défauts étaient poussés à l’extrême, avait toutefois une façon d’investir bien particulière que l’on peut retrouver aujourd’hui parmi des grands spécialistes, comme Carl Icahn par exemple ou Asher Edelman. Il est donc tout à fait possible de s’inspirer de Gordon Gekko pour investir comme lui, tout en prenant soin de ne pas franchir les frontières de la légalité.
Gordon Gekko est ce que l’on appelle un raider ou trader activiste. Il ne cherche pas à faire un coup de quelques millions discrètement sans prendre part sous quelques formes que ce soit à la gestion de l’entreprise, il souhaite au contraire insister sur les lacunes de chaque entreprise, les pointer du doigt, et pousser la direction au départ, pour redresser la société (rarement) ou la démanteler (fréquemment). L’intérêt de l’actionnaire passe avant toute chose, et surtout avant l’intérêt des dirigeants et des salariés. Il ne cherche pas à éviter les plans sociaux, il cherche à maximiser sa rentabilité. De fait, lorsque Bud Fox lui apporte sur un plateau le contrôle de la compagnie aérienne où travaille son père, il ne cherchera pas à la redresser comme le pense Bud Fox, mais tout simplement à la démanteler. Acheter une bouchée de pain une entreprise détentrice d’actifs immobiliers ou encore de fonds de retraites sont l’une des spécialités de Gordon Gekko. Un peu comme la valeur d’une voiture en pièces détachées est supérieure à la valeur de la voiture dans son ensemble, la valeur d’une entreprise peut se voir décupler en la divisant.
La valorisation d’une entreprise est souvent le fait de son activité, et de sa bonne santé financière. Une croissance forte, des bénéfices élevés, des perspectives intéressantes. Mais quand tous ces éléments sont en défaveur de l’entreprise, cette dernière voit sa valeur s’effondrer, et ce, le plus souvent, malgré des éléments d’actifs non négligeables. Ces éléments d’actifs n’ont en réalité de la valeur qu’au moment de la fin de l’activité de l’entreprise. Prenons le cas de l’Etat français. Certes la Joconde a une valeur gigantesque, mais en réalité sa valeur est nulle car elle ne sera jamais vendue. Il en est de même pour une entreprise. Un brevet n’est utile que s’il est utilisé de façon efficiente. Pour une société avec une activité déficitaire mais avec d’importants brevets, une forte valorisation s’expliquerait uniquement par une volonté de démanteler l’entreprise. L’activité une fois close, il n’y aura plus de difficultés à céder les brevets à des concurrents.
Il va sans dire que la stratégie façon Gordon Gekko est donc limitée à quelques spécialistes dans le monde. Point question pour vous de racheter une société cotée et de la démanteler. Toutefois, des professionnels sont aujourd’hui spécialisés dans la reprise d’entreprises en difficulté. Ils peuvent certes ne rechercher que le démantèlement mais la reprise d’activités est souvent privilégiée par les tribunaux de commerce. Le raider qui rachète l’entreprise pour la démanteler reste plus qu’anecdotique au quotidien.
Pour qui a vu le film, vous avez sans doute remarquer l’importance de l’information privilégiée dans la stratégie de Gordon Gekko. Il n’hésite pas à suivre ses concurrents raiders dans le but de connaître leur prochaine acquisition. Bud Fox est ainsi chargé de suivre les allers et venues de Sir Lawrence Wildman afin d’éventuellement lui voler l’affaire juteuse qu’il a lui même décelé. Dans la réalité, les délits d’initiés sont plus que rares, même s’il serait mentir que de dire qu’il n’existe pas. Très fortement condamnés, les délits d’initiés peuvent apporter bien plus de conséquences néfastes qu’ils ne peuvent apporter de gains. A votre niveau, il y a de toute façon peu de chances que vous disposiez d’informations non présentes sur le marché.
Gordon Gekko est souvent décrit comme un psychopathe. Très méchant, violent, et sans aucune compassion, il est le raider que l’on aime détester. Son comportement colérique est tel qu’il doit suivre constamment sa pression artérielle pour éviter une crise cardiaque. On est ici bien loin de la réaction de tout excellent trader, qui se doit de garder un sang froid et qui doit raisonner avec son cerveau en lieu et place de son coeur. Gordon Gekko n’hésitera pas à couler son adversaire même si la rentabilité n’est pas au rendez vous. Sa colère le pousse à prendre des décisions irraisonnées.
A son tout petit niveau, un particulier pourrait adopter une stratégie similaire à celle de Gordon Gekko. Certes, il ne rachètera pas Apple avec la volonté de se séparer de la direction et de redistribuer les liquidités, mais il pourra prendre une position intéressante sur une PME cotée et ensuite collecter suffisamment de droits de vote pour faire pression sur la direction, et ainsi influencer directement la stratégie de l’entreprise. Ceci n’est évidemment possible que pour les entreprises dont l’essentiel du capital n’est pas bloqué auprès des actionnaires fondateurs.
Par le passé, plusieurs actionnaires ont agi ainsi de façon plus ou moins légal. Ils ont acheté des actions de sociétés peu liquides, et peu connues du grand public, et ont commencé à faire massivement de la publicité pour ces entreprises. Ils n’ont certes pas pu, à leur niveau, influencer sur la stratégie de l’entreprise, mais ils ont pu influencer la cotation de ces dernières. La situation fut telle que l’Autorité des Marchés Financiers a décidé de limiter ce phénomène en obligeant les internautes qui donnaient un conseil sur un titre de préciser leur participation dans la dite société.
Nous ne chercherons pas à vous conseiller d’investir comme Gordon Gekko. Que ce soit par ses méthodes de gestion, ou par les fonds nécessaires, ou encore par les risques pénaux, toute la stratégie de Gordon Gekko est à proscrire pour le particulier. Et puis, n’oubliez pas, l’homme qui a déclaré “Greed is good” (la cupidité a du bon) a fini en prison à la fin du film.