Pierre Perrin-Monlouis Dernière mise à jour: 21 octobre 2021
Tout le monde peut-il faire du trading ? C’est à cette question simple qu’on essayé de répondre deux traders dans les années 80. Richard Dennis, et William Eckhardt, échangeaient ainsi souvent sur la part de l’acquis et de l’inné dans le domaine du trading. Richard Dennis, né en janvier 1949, est un trader spécialisé dans les matières premières. Surnommé le Prince du Pit, il défend l’idée que le trading comme toute matière peut s’enseigner, et qu’en respectant des règles précises et strictes, n’importe qui peut générer des plus-values.
Né en 1955, William Eckhardt, est aussi trader. Pour lui, un trader naît trader. Ses émotions, sa gestion du stress, sa vision ou encore son intuition, sont autant de qualités qui ne sont pas offertes à tout le monde. Le trading et surtout le succès dans le trading ne peut pas s’apprendre. Soit on naît trader, soit non. De ce désaccord quasi philosophique va émerger l’une des expériences les plus connues du XXème siècle. Les deux amis ont en effet décidé d’aller plus loin que la simple discussion, et ont souhaité en avoir le coeur net. Ils ont décidé d’expérimenter.
L’expérience des Tortues est née. Les deux hommes décident de sélectionner des étudiants, non liés à l’univers des marchés boursiers, de les former, et de constater l’évolution de leurs performances. La petite annonce passée, plus de 1.000 candidats se proposent. Seulement 80 sont choisis, puis 13 sont réellement formés. En janvier 1984, pendant deux semaines, et seulement deux semaines, ces 13 individus sont formés à la méthode de trading de Richard Dennis. Afin de ne pas dévoiler les techniques utilisées, ils devront signer un contrat de confidentialité courant jusqu’en 1993. La méthode sera ensuite diffusée par les anciens élèves.
Mais difficile d’évaluer les compétences de ces Tortues Traders après seulement deux semaines de formation. Tout logiquement, chaque tortue trader se verra donc attribuer une somme en liquide de 250.000 à 2 millions de dollars. Un montant conséquent avec un risque important de pertes. Ces nouveaux traders pourront investir en actions, en obligations, en devises ou encore dans les matières premières. En pratique, ceux sont les deux derniers actifs qui ont été privilégiés par les Tortues. Toutefois la latitude accordée aux traders reste limitée. Ces derniers doivent suivre les recommandations de Richard Dennis, et ne pas y déroger. Suivre ses intuitions pourrait se traduire par des performances mitigées.
L’expérience des Tortues était certes connue mais les règles exactes n’ont été révélées qu’assez récemment. Ainsi, son plan de trading se base essentiellement sur un suivi de tendance. L’objectif est alors de multiplier les prises de position, de prendre rapidement ses pertes pour laisser courir ses profits, grâce à l’inertie de la tendance. Cela peut s’apparenter à une espérance négative, où sur 2 trades pris, plus d’1 est perdant. Mais en contrepartie, le trade gagnant compensera plus que largement la perte du trade perdant.
Une méthode de trading repose sur plusieurs règles, tant au moment de la prise de position, qu’au moment du débouclage, voire pendant la détention des actifs. La méthode des Tortues ne déroge pas à ces principes.
Prise de position
Il s’agit là d’un élément important d’un trading sur tendance. En effet, trop tôt et la tendance espérée ne viendra peut être pas, et trop tard, la tendance sera déjà terminée, et l’investisseur ne verra que le cours baisser. La méthode des Tortues porte sur une prise de position liée aux cassures ou breakout. Ainsi le trader devra se positionner à l’achat si le titre casse son plus haut à 20 jours (ou 55 jours), et devra se positionner à la vente si le titre rompt son plus bas à 20 jours (ou 55 jours). Le but n’est pas d’acheter au plus bas pour vendre au plus haut, mais d’acheter quand la tendance est validée.
On peut ainsi estimer que le titre est sur une tendance haussière, ou baissière, et qu’elle devrait se poursuivre. Dans tous les cas, la tendance est installée.
Taille des positions
L’une des bases du money management est la fixation des tailles des positions. On ne peut être investi à 100% sur un seul titre, comme on ne peut pas avoir des milliers de titres dans son portefeuille. Il existe un juste milieu, propre à chaque méthode de trading. Pour les Tortues, la taille de position se calculait selon la volatilité du titre. Plus cette dernière était élevée et plus la position devrait être petite. L’objectif est alors de limiter les risques. Un titre très volatil pourra certes générer de fortes plus-values mais a également de fortes chances de se traduire par une perte.
Richard Dennis a ainsi développé un indicateur spécifique pour les Tortues, et ainsi leur permettre de fixer une taille de positions idéale selon le risque du titre.
Couper les pertes
Mais pour les Tortues, et leur méthode d’espérance négative, il est essentiel de savoir quand couper ses pertes. Multiplier les petites pertes n’est pas rédhibitoire pour générer au final une performance positive, mais il convient de limiter le montant de ces pertes. Les Tortues se basent une nouvelle fois sur un indicateur de volatilité, l’ATR ou Average True Range, créé en 1978 par J. Welles Wilder.
Petite précision intéressante. Afin de ne pas être détectés par d’autres traders, les Tortues ne placent pas de stop loss sur le marché. Ils suivent en permanence leurs propres positions et la débouclent une fois que la perte maximale est atteinte. De nos jours, cette précaution n’a plus lieu d’être, surtout pour les traders particuliers.
Pyramidage
Mais une fois la position engagée, et la tendance confirmée, n’est-il pas intéressant d’augmenter sa position afin de profiter au mieux de cette tendance ? C’est exactement ce que pense Richard Dennis. Ainsi il propose aux Tortues de renforcer leurs positions, que ce soit à l’achat ou à la vente. Ainsi la position initiale peut être sensiblement accrue tant que les conditions de trading sont confirmées.
Cette technique est différente de la moyenne à la baisse. Il ne s’agit pas là d’accroître sa position perdante, mais de renforcer sa position gagnante.
Débouclage de positions
Si la tendance est confirmée, et qu’aucun stop loss n’a été déclenché, le trader laisse filer sa plus-value. Toutefois, le débouclage de la position doit être envisagée pour prendre sa plus-value mais aussi pour éviter de voir la tendance s’inverser, et ainsi transformer une belle plus-value en pertes. Au même titre que la prise de positions, le débouclage est clair. Sur une position longue (c’est à dire que vous aviez acheté les titres), vous cédez les titres si le cours de ces derniers casse le plus bas à 10 jours (ou 20 jours). Sur une position courte ou vendeuse, vous rachetez les titres si le cours dépasse le plus haut à 10 jours (ou 20 jours). Comme vous pouvez le constater, le débouclage repose sur des périodes plus courtes que la prise de position. Il est en effet plus simple de constater une fin de tendance qu’un début de réelle tendance.
Mais au final, qu’en est-il des résultats ? Et qui de Richard Dennis ou de William Eckhardt a gagné son pari ? A la fin de l’expérience, soit après 5 années, les résultats sont éloquents. La somme finale gérée par les Tortues atteint les 175 millions de dollars. Les traders ont largement appliqué les règles de Richard Dennis, et ont validé le fait qu’un trader peut le devenir en étant formé. Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs décidé de poursuivre le trading en rejoignant d’autres sociétés de gestion. La méthode des Tortues a montré tous ses avantages sur les marchés avec des tendances fortes. Au contraire, pendant les périodes d’hésitations, les pertes ont été lourdes pour tous les traders.
Au final, la méthode des Tortues est applicable sur le long terme, et nécessite une bonne diversification. Toutefois, les moments d’entrée, de débouclage ou de stop loss étant clairement connus, ils peuvent être reproduits par un robot de trading comme il en existe aujourd’hui. Les actions sont un marché intéressant pour utiliser de nos jours la méthode des Tortues.
Richard Dennis et William Eckhardt, avec ce pari simple, ont montré que le trading s’apprenait. Cette expérience coûteuse au départ mais Oh combien enrichissante a prouvé qu’un plan de trading pointu ainsi qu’un money management à respecter pouvaient être la clé de plus-values à venir.