Pierre Perrin-Monlouis Dernière mise à jour: 21 octobre 2021
Alors qu’Apple bat des records de capitalisation boursière, dépassant allègrement les 600 milliards de dollars en 2012, d’autres sociétés peinent à retrouver leur luxe d’antan et ne cesse de chuter, comme PSA qui a du mal à rester au dessus d’une capitalisation d’1,5 milliards d’euros. Les deux sociétés n’ont bien évidemment pas le même parcours boursier, ni économique. L’une flirte chaque mois avec de nouveaux records de ventes, alors que l’autre se dépêtre difficilement d’une restructuration industrielle. Une différence notable est donc logique pour justifier deux trajectoires différentes. Mais une telle différence est-elle justifiée ? Ces capitalisations boursières reflètent-elles la valeur réelle de l’entreprise à un instant t ?
La capitalisation boursière d’une société n’est que le résultat d’une multiplication. D’une part la valeur de chaque action. Cette valeur correspond aux dernières transactions, aux derniers échanges réalisés sur le titre à la fin de la séance. Si l’action grimpe de 10% sur une séance, la capitalisation boursière augmentera de 10%. Compte tenu de la taille de certains groupes, ces montants peuvent s’avérer faramineux. Outre le prix de l’action, l’autre facteur déterminant la capitalisation boursière, est le nombre d’actions composant le capital social. Une société dont le titre cote 14 euros, et dont le capital est composé de 12.500 actions, aura une capitalisation boursière de 12.500 x 14 = 175.000 euros. Dans le même temps, une société dont l’action s’échange à 205 euros, mais dont il n’existe que 4.200 actions, ne sera valorisée qu’à hauteur de 205 x 420 = 86.100 euros. Alors que le titre cote bien plus, la valorisation boursière est largement inférieure car le nombre de titres composant le capital social est aussi largement inférieur.
La valeur réelle est une valeur plus subjective. Elle dépend tout à la fois des circonstances, de l’individu qui réalise la valorisation ou même encore de ce que l’on souhaite valoriser. Les méthodes de valorisation sont si nombreuses et différentes que pour une même entreprise, la valeur jugée comme réelle peut varier du simple au décuple. Un salarié verra toujours son entreprise mieux qu’elle n’est. L’actionnaire cherchera également à maximiser le prix de son investissement, alors que l’éventuel acquéreur ne verra que les défauts. Si l’entreprise est en difficulté, il se peut même que seule la valeur de quelques actifs ne soit retenue, faisant ainsi dégringoler la valorisation de l’entreprise. Il n’existe donc pas une valeur réelle unique. Il existe toutefois une fourchette plus ou moins large où l’on considère qu’une société est valorisée correctement. Ni trop. Ni trop peu. Si la valorisation boursière est très différente de cette fourchette, des opportunités d’investissements peuvent se présenter. Ainsi Benjamin Graham a toujours favorisé un investissement où la capitalisation boursière de la société était bien inférieure au bas de la fourchette de la valeur dite réelle, afin de se garantir une reprise du titre à plus ou moins long terme. Aujourd’hui, dans le monde de la finance, la valorisation d’une entreprise s’explique principalement par les flux financiers futurs qu’elle générera. Si l’entreprise est très prospère mais que ses perspectives de croissance sont très limitées, sa valeur fondamentale sera relativement moins élevée qu’une société dont la croissance attendue dans les années à venir est forte, mais dont le patrimoine actuel est limité.
Les notions de capitalisation boursière et de valeur réelle sont donc très différentes. Alors que la capitalisation boursière est une valeur mathématique qui n’ouvre aucun droit à l’erreur, la valeur réelle est une donnée subjective où l’interprétation fait loi. Mais la capitalisation boursière peut-elle représenter à un instant t la valeur réelle de l’entreprise ?
Oui
La capitalisation boursière représente à un instant t la valeur de l’entreprise. La valeur estimée par les investisseurs. La seule valeur que les investisseurs ont décidé de fixer pour acquérir ou vendre leurs titres. La capitalisation boursière ne peut être plus haute ou plus basse que la volonté du marché dans son ensemble. Ainsi, si les investisseurs estiment qu’une société vaut 1 milliard d’euros, c’est que la société vaut un milliard. On peut même estimer que cette valorisation est supérieure à la réalité, car la simple cotation d’une société entraîne mécaniquement une meilleure valorisation. Une liquidité élevée se paye. Ainsi, les investisseurs seront plus enclins à débourser davantage s’ils savent qu’en cas de problème, ou même si l’envie leur prend, ils pourront rapidement vendre leurs titres. Une maison en pleine campagne dans un petite village, quelque soit ses qualités intrinsèques, aura toujours une valeur inférieure à la simple valeur du foncier. En effet, le nombre d’investisseurs potentiels étant limité dans le secteur, les vendeurs n’auront d’autres choix que de baisser le prix. La liquidité se paye.
Seuls les investisseurs peuvent donc déterminer la valorisation d’une société. Que les salariés estiment que la société vaut plus. Pourquoi pas. Mais ils n’auront pas les fonds suffisants pour acquérir l’entreprise à ce prix. Dans le même temps, si un acheteur fait une offre outrageusement inférieure au prix attendu, elle deviendra la seule valable si le vendeur l’accepte. Autrement dit, la capitalisation boursière est la seule valeur de l’entreprise à un instant t. Elle représente tout à la fois le patrimoine de l’entreprise, sa cote de confiance vis à vis des investisseurs et la prise de risques qu’ils estiment. En effet, si les investisseurs estiment que le risque à placer leur argent sur telle ou telle société est élevée, ils exigeront d’elle une rentabilité plus forte. Pourquoi investir sur une société risquée, si les espoirs de gain sont identiques au Livret A ? Cette rentabilité désirée peut se traduire par de forts dividendes, mais aussi, et le plus souvent, par une hausse des cours de bourse. Si le profil de la société est trop risqué, les investisseurs ne se positionneront qu’à un niveau de cours très faible afin d’espérer une hausse du cours plus grande. La capitalisation boursière sera faible mais relative à une prise de risque élevée.
Non
La capitalisation boursière est une valorisation qui peut se révéler totalement incohérente, tant par son montant que par son évolution. Qu’est ce qui peut expliquer que sur une séance, la valeur d’une entreprise chute de 10-15 ou 20% ? La société a t-elle vue brûler une de ses usines ? Un produit a t-il été retiré brutalement du marché ? Rien de tout cela. Parfois une baisse de 10% peut s’expliquer par une simple rumeur sans fondement réel. Comment établir ainsi que la capitalisation boursière reflète d’une quelconque manière la valeur réelle de l’entreprise ? La capitalisation boursière représente davantage la psychologie des intervenants sur le marché à un instant t que la véritable valeur économique de l’entreprise. Ainsi, comment croire que la valeur du groupe PSA ne soit que d’1,5 milliard en 2012 alors même que les seuls stocks ont une valeur trois fois supérieure ?
Cette déconnexion entre la valeur réelle et la capitalisation boursière est évidente au moment des opérations financières. Ou quand l’économie reprend une partie de ses droits sur les marchés boursiers. Ainsi lors d’une offre publique d’achat, le prix proposé par l’investisseur est souvent supérieur au dernier cours. Certes cela s’explique par la prime de contrôle. Une action qui permet d’avoir le contrôle d’une société vaut plus qu’une simple action à destination d’un placement. Mais cette surenchère par rapport aux derniers échanges sur la valeur montre également que le titre est sous coté par rapport à sa valorisation réelle. Un titre correctement valorisé aurait du se positionner au niveau auquel un investisseur était prêt à la racheter. Cette valorisation peut aussi être jugée excessive par l’éventuel acquéreur. Prenons l’exemple d’une OPE ou Offre Publique d’Echange. Certes, les entreprises utilisent l’OPE afin de limiter leur sortie de trésorerie, mais pas seulement. L’OPE consiste en effet à racheter une entreprise en émettant de nouvelles actions de l’entreprise acquéreuse. Les actionnaires de l’entreprise cible recevront donc une action X en échange de l’apport de l’action Y. Cette technique permet à la société X d’acquérir la société Y sans bourse déliée. Mais cette technique démontre aussi que la valorisation de certains titres est ubuesque. La société acquéreuse profite de la hausse forte du cours de ses propres actions afin d’acquérir une société dont les cours ont également fortement grimpé. Cette pratique est couramment réalisée dans les secteurs où les hausses ont été fortes. Ainsi dans le secteur du Net, les OPE furent nombreuses. La capitalisation boursière était tellement déconnectée de la réalité que le seul moyen de favoriser la concentration du secteur fut de développer les OPE. Les sociétés acquéreuses étaient alors bien dans l’impossibilité de réunir les fonds en cash pour racheter des concurrents via une OPA. La capitalisation boursière était alors totalement déconnectée de la valeur réelle des entreprises, qui pour la plupart était bien incapable de générer le moindre bénéfice.
Cette décorrélation s’explique par la trop grande prise en compte du futur dans la valorisation de l’entreprise. Ainsi les investisseurs sur les marchés boursiers ne s’attardent le plus souvent que sur l’avenir des sociétés. Que l’entreprise dispose d’un gros carnet d’adresses ou de produits reconnus, la croissance attendue des bénéfices et du chiffre d’affaires détermineront une très grande part de la valeur actuelle du titre. Ainsi, une action peut voir son cours s’effondrer si dans les années à venir, la croissance attendue est nulle voire négative. La capitalisation boursière peut même chuter sous la valeur fondamentale estimée de l’entreprise. Les marchés ne sont pas raisonnables et n’hésitent pas à sacrifier le cours d’une entreprise sur l’autel des flux futurs. Il n’est donc pas exceptionnel qu’une société vale moins que la somme de ses actifs sur les marchés boursiers, même si les actifs sont évalués à leur valeur à la casse. Autant dire que les boursicoteurs et les traders ont perdu ici tout sens commun. De belles opportunités peuvent alors se dessiner pour les investisseurs privilégiant les fondamentaux à la seule valeur boursière.
La capitalisation boursière reste donc une donnée particulière. Qui certes peut aider au calcul de la valorisation de l’entreprise, mais qui seule, ne sera pas retenue dans le cadre d’une offre de rachat. Ainsi les actionnaires pourront exiger d’un éventuel acquéreur d’augmenter sensiblement son offre, même si cette dernière est déjà supérieure au dernier cours. La recherche de la différence entre la valeur fondamentale d’un groupe et sa valeur boursière peut même devenir une formidable opportunité d’investissement, et certains se sont faits forts de rechercher les titres sous-évalués dans le but d’engranger de solides plus-values. L’investisseur qui gagne le plus n’est pas forcément celui qui suit la tendance, mais aussi celui qui la devance.